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Nouvelles / News

On parle de streaming à Genève !

En mars dernier, j’ai eu l’honneur d’être invitée par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) à faire partie d’un panel au cours duquel j’ai pu aborder le rôle des sociétés de gestion collective en lien avec le streaming de la musique dans un contexte où les artistes interprètes ne reçoivent rien – ou sinon, des sommes dérisoires – pour le streaming de leur musique.
Ce panel prenait place dans le cadre d’une session d’information que l’OMPI a dédié spécifiquement au MARCHE DE LA DIFFUSION DE MUSIQUE EN CONTINU (ou streaming). Or, le fait que cette organisation internationale décide de consacrer une session d’information (destinée à ses 193 états membres) à ce sujet spécifique n’est pas anodin.
En effet, le streaming de la musique a fait l’objet de nombreuses discussions à l’OMPI et il en ressort que les artistes de partout à travers le monde sont grandement insatisfaits des revenus qui en découlent. Ce n’est donc pas uniquement chez nous que les artistes se plaignent de la situation.
Les premiers à avoir alerté l’OMPI quant à cette situation dramatique est le Groupe des pays d’Amérique latine et des Caraïbes (GRULAC) qui avait – dès 2015 – formulé une proposition afin que le droit d’auteur dans l’environnement numérique fasse l’objet d’études.
Depuis ce cri d’alarme, la documentation soumise au Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes de l’OMPI comporte de nombreuses études portant sur la musique dans l’environnement numérique dont l’une des plus récentes est celle de Castle et Feijóo.

Cette étude met en évidence à quel point les artistes interprètes ne reçoivent rien ou des sommes dérisoires lorsque leurs prestations sont exploitées sur les plateformes de streaming, et ce, alors même qu’ils créent de la valeur pour ces dernières, certaines étant cotées en Bourse.

Malgré cette injustice, très peu de pays ont mis des mécanismes en place afin de pallier cette situation mais ceux qui l’ont fait font envie !
L’exemple le plus cité est celui de l’Espagne qui a un régime prévoyant que les plateformes de musique en ligne versent un pourcentage de leurs revenus totaux à la société de gestion collective locale AIE qui reverse ces sommes uniquement aux artistes interprètes !
Cette rémunération équitable espagnole s’ajoute aux redevances qui peuvent être prévues aux contrats de disques que les artistes-interprètes signent avec les producteurs d’enregistrements sonores et ne vise pas à les remplacer. Elle n’impacte ni les contrats existants ni les producteurs.
Le modèle fait tellement envie qu’en Belgique plusieurs milliers d’artistes ont signé une pétition mise en ligne par Playright (la société de gestion collective belge représentant les artistes interprètes) intitulée #18000EnEspagne. Par cette pétition, les signataires laissaient croire qu’à défaut d’une meilleure législation belge faisant en sorte qu’une compensation plus juste pour la diffusion de leur musique en ligne leur soit versée, ils n’auraient d’autre choix que de s’exiler vers l’Espagne. La bonne nouvelle est que la Belgique a été attentive aux demandes des artistes et qu’elle est désormais un autre territoire où une rémunération équitable a été récemment introduite en lien avec le streaming.
Voilà de quoi rendre jaloux les artistes de Grande Bretagne dont la grogne a fait couler beaucoup d’encre et s’est notamment matérialisée par la campagne Broken Record et un vaste processus de consultation où nombre de personnes et d’organisations ont témoigné devant le parlement britannique. En dépit de tout ceci, aucune modification législative rééquilibrant la rémunération perçue par les artistes pour le streaming de leur musique n’a été introduite en Grande-Bretagne, pour l’instant du moins…

À travers le monde, plusieurs artistes invitent les autorités à «réparer» le streaming (#fixstreaming) ou à le rendre plus équitable (#fairinternetforperformers) et la mobilisation s’étend afin de porter la situation à l’attention des différentes instances.

Lors d’un événement intitulé « Unfair remuneration of performers in the digital environment: Towards a WIPO remedy » – qui a été tenu en marge des travaux l’OMPI par plusieurs organisations internationales représentant les intérêts des artistes interprètes ( Aepo-Artis, FIM, FILAIE et SCAPR), plusieurs intervenants se sont prononcés sur la question des revenus du streaming et ont milité en faveur de la mise en place d’un mode de rémunération plus équitable qui devrait être administré par les sociétés de gestion collective de ces artistes.
Lors de la dernière journée du Comité permanent, et tel que le rapporte le président dudit comité dans son résumé de la 43e session, le GRULAC a proposé que le droit d’auteur dans l’environnement numérique devienne un point permanent de l’ordre du jour dudit comité et que différentes activités sur la musique dans l’environnement numérique soient entreprises. Alors que la proposition pouvait sembler aisément acceptable, certains états membre ont demandé à disposer de plus de temps pour l’examiner et d’autres ont exprimé des réserves. Or, pour que de telles propositions fassent leur chemin à l’OMPI, le consensus est nécessaire.
Maigre victoire, s’il en est, le Comité permanent se réunira à nouveau en novembre 2023 et consacrera sa troisième journée à différents sujets dont celui du droit d’auteur dans l’environnement numérique. Les questions qui sont au cœur des préoccupations des artistes interprètes et des organisations qui les représentent pourront donc de nouveau être mises sur la table.

Pendant ce temps, quelle est la situation des artistes-interprètes chez nous ?

Tous se plaignent des maigres revenus ou de l’absence de ceux-ci lorsque leur musique est diffusée en ligne. Certains ont manifesté leur colère en publiant des captures d’écran de leur « wrap de Spotify » dont ils ont noirci les statistiques de diffusion en protestation contre le fait que ces diffusions ne leur rapportent pratiquement rien. Mais le plus préoccupant est que d’autres se sentent désemparés face à cette injustice et que quelques-uns ont senti poindre, non sans amertume, un sentiment de résignation face à cette injustice criante.

Artisti, de son côté, n’a pas l’intention de baisser les bras et souhaite demander que les artistes interprètes puissent percevoir une juste rémunération en lien avec toutes les formes de streaming de leur musique, incluant le streaming interactif ou à la demande. Les moyens d’y parvenir peuvent être multiples mais tous tendent vers l’instauration d’une forme ou d’une autre de rémunération équitable.
Au Canada, pour le moment, tout semble au beau fixe. Si l’on a pu constater certaines avancées par l’adoption du projet de loi C-11 qui aura un impact certain sur la visibilité en ligne des contenus canadiens, cela ne permettra pas pour autant aux artistes interprètes de percevoir une rémunération plus équitable en lien avec le streaming de leur musique. En effet, pour y parvenir et faire en sorte que des sommes reflétant mieux la valeur que les artistes interprètes apportent aux plateformes de streaming leur soient versées directement, il faut procéder à des modifications à la Loi sur le droit d’auteur. Or, la révision de la Loi sur le droit d’auteur promise de longue date n’a toujours pas lieu …
Le 1er janvier 2024, il y aura cent ans que cette Loi sera en vigueur. Il serait grandement temps de lui refaire une jeunesse en la modernisant pour qu’elle soit plus adaptée aux utilisations en ligne et qu’elle permette que les artistes interprètes reçoivent leur juste part.
Si l’OMPI a été capable de conclure la 43e session du comité permanent en prévoyant que le point du droit d’auteur dans l’environnement numérique serait de nouveau à l’ordre du jour en novembre, le Canada devrait pouvoir lui emboiter le pas et mettre à l’ordre du jour la question de la rémunération des artistes interprètes en lien avec le streaming à la demande, le tout, dans l’exercice plus vaste de la révision de sa Loi sur le droit d’auteur.

#justicepourlesartistesinterprètes